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Souvenirs Jacques

 

 

CAMPAGNE DE 1747

 

 

L’armée du Roi s’assemble à la chartreuse de Louvain où nous avions campé la campagne précédente et y établit sa droite ; le centre de l’armée est à Malines, la gauche appuie à Anvers : cette position étendue menace à la fois Berg-op-Zoom et Maëstricht… Les ennemis croient que Maëstricht est la place que le maréchal de Saxe se propose d’attaquer de préférence à toute autre.

Le Roi arrive à l’armée [22 juin] et, comme il la joint à la droite, les ennemis se confirment que la première marche qu’elle fera sera par sa droite. Ils se mettent donc en mouvement et se disposent à arriver à Maëstricht avant l’armée françoise, se proposant d’y prendre une position qui rende nos mouvements inutiles sur cette ville.

La division de M. le prince de Clermont, composée de vingt-quatre bataillons, trente escadrons et du régiment de Grassin, a ordre de se porter à Tirlemont, ce qu’elle exécute sur-le-champ.

A huit heures du soir du même jour, les quatre brigades d’infanterie campées à la droite de Louvain reçoivent ordre d’en partir pour Tirlemont, où elles arrivent à la pointe du jour. La division de M. le prince de Clermont partoit pour Tongres comme notre division arrivoit, le régiment de Picardie en faisant la tête.

Depuis Anvers jusqu’à la réserve de Mgr le prince de Clermont qui en formoit l’avant-garde, toute l’armée, par échelons, étoit en mouvement pour se porter à Tongres et, plus en avant d’un quart de lieue, à Tongelberg, de manière que pour cette marche la division qui précédoit celle qui la suivoit en partoit lorsqu'elle voyoit arriver l’autre et à Tongelberg l’armée devoit toute se joindre.

La division du prince de Clermont y arrivant campa, laissant Tongelberg à sa gauche ; la seconde division campa à Tongelberg ; la troisième division, qui arriva pendant la nuit, resta sans camper en avant de Tongres et derrière Tongelberg.

A la pointe du jour, les gardes des troupes légères qui étoient en avant de nous furent attaqués par une fourmilière de hussards et obligés de se replier sur le camp. On fit marcher les piquets de la cavalerie, dragons et quelques-uns d’infanterie pour les protéger et tous ces hussards furent chassés. Le maréchal de Saxe étoit arrivé à Tongres au commencement de la nuit précédente. Instruit de l’apparition de tous ces hussards, il donna ordre que les trois divisions arrivées eussent à se mettre bataille dans l’ordre où elles étoient campées, à la première alarme du point du jour. Les chefs des régiments avoient exécuté cet ordre avant qu’il parvînt et ce qui y avoit contribué étoit que vis-à-vis les hauteurs de Tongelberg, à distance d’une demi-lieue, étoient d’autres hauteurs qui nous cachoient tout ce qui pouvoit se passer de l'autre côté ; ainsi lorsque l’aide de camp du maréchal arriva, il trouva l’ordre qu’il portoit exécuté. Trois divisions restèrent dans cette position encore une demi-heure.

L’ordre nous arrive de laisser seulement le camp des soldats tendu et que les équipages aient sur-le-champ à se mettre en marche pour se porter sur les derrières de Tongres.

M. le maréchal envoie différents courriers aux officiers généraux commandant les divisions qui nous suivoient pour accélérer leur marche et arriver le plus promptement possible.

Les trois divisions arrivées se mettent en mouvement pour se porter en avant : celle du prince de Clermont sur deux colonnes tenant la droite, la seconde division et la troisième chacune d’elles également sur deux colonnes, les hussards et troupes légères en avant d’elles, très rapprochés des colonnes. Chaque colonne avoit à sa droite l’artillerie qui lui étoient attachée. Les gardes et piquets qui étoient en avant et qui depuis le point du jour étoient à escarmoucher avec les hussards ennemis s'ébranlent et se portent en avant.

Dans cet ordre, on traverse la plaine entre les deux hauteurs. Toutes les troupes légères ennemies répandues dans cette plaine se replient sur la hauteur [qui étoit] derrière eux et s’y forment par escadrons en bataille, et font ferme vis-à-vis toutes les petites troupes en avant. Mais, notre marche se continuant, tous ces escadrons font leur retraite et, sur-le-champ, nos troupes légères au galop s’emparent des hauteurs qu'ils quittent. La mousquetade devient plus vive de la part de nos troupes légères qui les suivent jusque sur les hauteurs d’Herderen, auxquelles les ennemis ne s’arrêtent même pas, et sont poussées sur les hauteurs vis-à-vis, où les ennemis à cette heure étoient en force bien plus nombreuse que nous ne l’étions par nos trois divisions, la majeure partie de leur armée y étant déjà arrivée et le reste y arrivant.

Le maréchal de Saxe se porte en avant sur les hauteurs d’Herderen pour reconnoître ; en passant, il ordonne à toutes les colonnes de faire halte et que toutes les têtes desdites colonnes restent à hauteur. Demi-heure après, il vient ordre à toutes ces colonnes de se porter en avant... Elles avoient ordre, savoir : celles du centre, qui marchoient aux hauteurs d’Herderen, de pousser leur tête à vue seulement sur la plaine située de l’autre côté de ces hauteurs ; les colonnes de la division de Mgr le prince de Clermont, qui étoient sur la droite, de faire halte au moment que les têtes desdites colonnes seroient à hauteur de celles placées sur les hauteurs d’Herderen ; et les colonnes de la troisième division sur la gauche des mêmes hauteurs, d’observer le même ordre.

Au moment où ces différentes colonnes firent halte, il étoit midi. Trente pièces de canon de douze et huit livres de balles furent placées sur lesdites hauteurs.

L’armée ennemie, que nous découvrions parfaitement sur tout son front, étoit arrivée et en ordre de bataille, savoir : les Autrichiens, leur droite à la Commanderie, tenant toutes les hauteurs jusqu’à un gros village qu’ils occupoient aussi et qu’ils avoient rendu formidable (l’étant par sa position), ce dont il fut aisé de juger après la bataille par les abatis d’arbres qu’il y avoit, les retranchements qu’ils y avoient faits, les communications qu’ils avoient pratiqués pour que les bataillons destinés à sa défense pussent aisément s’entr’aider, et une large communication qui arrivoit sur le derrière de ce village, par où des troupes fraîches pouvoient nourrir les différentes parties par où ce village seroit attaqué. La droite des troupes hollandoises appuyoit à ce village. Vers le centre de leur troupe et de leur ligne, il y avoit un autre petit village qui ne présentoit pas un objet effrayant de défense comme celui de leur droite. Leur ligne se poussoit à la gauche de ce village, où appuyoit la droite des troupes angloises se prolongeant jusqu’au village de Lawfeld, où appuyoit la gauche de leur infanterie. De l’autre côté de ce village et continuant la ligne, étoient la cavalerie angloise et partie de celle de Hollande qui s’étendoit jusqu’à un autre village très près de la rivière Sambre. Ce village étoit gardé par de l’infanterie de leurs troupes légères et, suivant la ligne, étoient quelques escadrons de hussards qui alloient jusqu’à la Sambre.

Le maréchal de Saxe, qui voyoit le danger de pouvoir être attaqué dans ce moment critique, n’ayant pas à cette heure la moitié de son armée arrivée, usa de ses talents pour en imposer aux ennemis et fit mine de marcher à eux.

Au bas des hauteurs qu’occupoient la gauche des Autrichiens et la droite des Hollandois, étoit un hameau d’environ vingt maisons, éparses dans des vergers comme le sont tous les villages de ce pays. Le maréchal tira un gros détachement de ses colonnes du centre pour marcher à ce village où il ne paroissoit nul ennemi ; il y fit tirer quelques coups de canon des pièces de douze, ordonnant qu’on en tirât quelques coups à toute volée, dont les boulets portoient et dépassoient la ligne ennemie. Le détachement formé marche au hameau, n’y trouve personne et s’en empare. M. le maréchal se porte à ce hameau, y observe et revient.

Pendant cet intervalle, nous voyons que les ennemis autrichiens forment en avant de leur ligne un détachement d’environ 2.000 hommes, dont ils font deux petites colonnes, celle de leur droite ayant quatre pièces de petite artillerie.

A ce moment (il étoit trois heures après midi), arrivent quelques officiers généraux qui viennent rendre compte à M. le maréchal de Saxe que la quatrième division de l’armée est à une demi-lieue et que le Roi, qui la précède, arrive. Il fut ordonné aux troupes de ne faire aucun cri sur l’arrivée du Roi, comme il est d'usage, et, quelques minutes après, Sa Majesté arrive et joint M. le maréchal sur lesdites hauteurs d’Herderen.

Les ennemis marchoient à cet instant pour l’attaque du hameau placé entre les deux armées, ce qu’ils exécutèrent après l’avoir canonné l’espace d’une petite demi-heure, et quelques boulets perdus, qui n’étoient que de trois livres de balles, vinrent frapper sur la hauteur d’Herderen et y tuèrent un cheval fort près de la personne du Roi. Quelques-uns des officiers généraux arrivés avec Sa Majesté vouloient qu’on ripostât à ce canon, mais le maréchal de Saxe ne le jugea pas nécessaire et, sous prétexte de faire observer au Roi la position qu’occupoit M. le prince de Clermont, il conduisit Sa Majesté sur le revers des hauteurs.

Du moment que l’infanterie des ennemis se mit en marche pour arriver à ce hameau, l’officier supérieur qui y commandoit fait sa retraite, laissant seulement quelques tirailleurs auxquels il ordonne que, lorsqu’ils verront les ennemis décidés à arriver aux premières haies, ils aient à les quitter et venir le rejoindre, qu’il sera hors du village sur la direction par laquelle ils étoient venus. L’attaque se fait, tout s’exécute comme il avoit été ordonné et ce détachement, sans perte d'un homme, se replie au bas des hauteurs d’Herderen. Le maréchal de Saxe l’avoit ainsi ordonné pour éviter tout engagement. Il étoit alors cinq heures de l’après-midi et, à cet instant, la tête des colonnes de la quatrième division arrivoit. Elles eurent ordre de se placer à la droite des colonnes arrivées avant elles, ce qu’elles exécutèrent et dans cet ordre le temps s’écoula jusqu’à huit heures du soir et, le soleil prêt à quitter l'horizon, le maréchal de Saxe parut respirer plus à son aise, ce qu’il affecta de dire.

Sur les hauteurs d’Herderen et au point de vue d’où l’on voyait toute l’armée des ennemis, l’on avoit fait porter des bancs pris dans les maisons des paysans, où il n’y avoit pas d’autres sièges, et le Roi et les seigneurs de la Cour les occupoient, et là roulait la conversation sur l’avantage qu’auroient eu les ennemis d’attaquer le maréchal dès midi, comme ils le pouvoient, étant en force très supérieure à lui. Le maréchal de Saxe convenoit d’autant de ce fait qu’en outre de la quatrième division qui l’avoit joint vers les cinq heures, les deux divisions à arriver faisoient encore un vide de trente bataillons et soixante escadrons, lesquelles arrivèrent l’une à dix heures de la nuit et l’autre à minuit.

Le Roi soupa et coucha dans une petite maison de paysan. Il fut défendu aux troupes de faire des feux pendant la nuit, qui fut employée à faire l’ordre de bataille sur lequel le maréchal de Saxe se proposoit de combattre. Toutes les dispositions se firent avec le plus grand silence et avec l’ordre le plus exact, savoir :

Dans la plaine, appuyant leur droite près des hauteurs d’Herderen, trente escadrons de cavalerie furent mis en bataille sur une seule ligne ; à leur gauche, un régiment de dragons et des volontaires d'infanterie, qui appuyoient à un ruisseau très encaissé ; cette ligne resserroit sa gauche et formoit la figure d'une potence en arrière. Comme il étoit impossible de se porter en avant de front par les difficultés du terrain, les ennemis ne pouvoient arriver à eux dans cet ordre et cette gauche étoit inattaquable.

Sur la hauteur d’Herderen, huit brigades d’infanterie, chacune d’elles formant sa colonne. A la droite des hauteurs et dans le bas, la brigade Gardes françoises et suisses en bataille, ce qui faisoit quarante-trois bataillons que le maréchal de Saxe regardoit comme son corps de réserve et destinoit à la sûreté de la personne du Roi. A la droite de la brigade des Gardes, étoient cinq brigades d’infanterie (vingt bataillons) ; en seconde ligne, autre cinq brigades (vingt bataillons). A la droite de la deuxième ligne d’infanterie, une brigade d’infanterie en colonne à chacune d’elles. A la droite de ces colonnes, quarante escadrons de cavalerie sur deux lignes, qui appuyoient à la division de Mgr le prince de Clermont, qui, pendant la nuit, avoit été portée à quarante bataillons. A la droite de cette division, trente escadrons ; quatre régiments de dragons à la droite de cette cavalerie ; les uns et les autres sur deux lignes. Les dragons avoient à leur droite deux bataillons de grenadiers royaux, et l’infanterie des troupes légères, leur cavalerie en bataille à leur droite. La cavalerie de la maison du Roi et la gendarmerie étoient comme en réserve partie derrière les hauteurs d’Herderen et la brigade des Gardes françoises et suisses.

M. le comte de Saint-Germain (1) avoit été chargé de la garde de Tongres ; il avoit à ses ordres douze bataillons et cinquante pièces de canon, le tout disposé comme si nous eussions dû perdre la bataille.

Toutes les précautions justement et habilement prises par le général qui commandoit les troupes du Roi, il ne restoit plus que d’en venir au dénouement.

Du moment que cet habile capitaine vit que l’organisation de ses lignes étoit au point où il la désiroit et qu’il eut donné ses ordres aux officiers généraux, il vint joindre le Roi, à hauteur d’Herderen. " Monsieur le maréchal, lui dit le Roi, tout est ici à vos ordres, ordonnez. " Ce bon Roi, d’un caractère pacificateur, vouloit par cette réponse honorer ce brave maréchal, en lui marquant toute sa confiance, et il en coûtoit sans doute à son cœur d’ordonner que l’action commençât, par le sang qu’il prévoyoit qu’elle alloit faire répandre soit de ses sujets, soit de ceux des princes avec lesquels il étoit en différend.

Le maréchal quitte le Roi, se porte à la droite de ses lignes, d’où il envoie ordre à Mgr le prince de Clermont de se mettre en mouvement et d’exécuter ce qu’il lui avoit prescrit précédemment. Il étoit alors environ huit heures. Toute l’artillerie de la division du prince commence un feu des plus vifs sur le village de Lawfeld. Les ennemis y répondent surtout d’une batterie de vingt pièces qu’ils avoient à la droite de ce village et en dehors des vergers, où les Anglois qui le défendoient en avoient placé une nombreuse quantité.

Après une heure environ de canonnade, les troupes marchent pour aller à l’attaque ; elles s’y portent avec un courage héroïque, mais le feu et la mort qui sortent des haies de ce village les obligent à reculer pour se rallier et se mettre à l’abri des effets de la mousqueterie. Puis elles se reportent à l’attaque, trouvent même réception et se replient encore. Deux brigades fraîches y sont jointes et elles attaquent pour la troisième fois. A cette attaque, elles pénètrent dans les vergers, chassent les ennemis qui les défendoient et s’emparent de douze ou quinze pièces de canon. Ces haies ressembloient à des retranchements ; les terres amoncelées au pied des arbrisseaux atteignoient presque partout la hauteur de cinq et six pieds et étoient difficiles à franchir ; les troupes qui les avoient passées étoient toutes rompues. Une colonne angloise et des troupes fraîches marchent à elles, obligent tous ces pelotons à se replier et les jettent en désordre sur le gros de leurs troupes qui se forme après avoir passé la première haie. Les uns et les autres sont obligés de la repasser, mais sans quitter ce retranchement que la nature avoit formé. Il s’établit un feu de mousqueterie terrible, où notre infanterie, couverte par ce retranchement, faisoit beaucoup de mal aux ennemis.

Il y avoit plus de trois heures que les attaques de mousqueterie se continuoient. Notre infanterie s’aperçut que la mousqueterie des ennemis diminuoit beaucoup ; elle pense que le moment de repasser la haie étoit venu ; en conséquence les officiers et soldats la grimpent et marchent comme à l’attaque précédente, par pelotons unis et sans attendre d’être en force, sur les ennemis qui fuient. Mais des troupes angloises, et fraîches, se présentent et repoussent les nôtres. Presque tous les bataillons qui formoient cette attaque avoient passé cette haie et, pour éviter ce qui leur étoit arrivé précédemment, ils prennent des postes suivant que le terrain les leur présente. Les différents pelotons qui s’étoient postés en avant sont repoussés, mais ils viennent se rallier à leurs bataillons et il se rétablit une mousqueterie très vive.

M. le maréchal, qui avoit examiné d’où pouvoit provenir l’opiniâtreté de cette défense, fait porter ordre à la cavalerie qui étoit à la droite du prince de Clermont, d’attaquer celle dont la droite étoit près du village de Lawfeld ; cette charge se fait avec succès et la cavalerie ennemie est culbutée. Tout le reste de la droite se porte en avant. Le village qui étoit vis-à-vis les grenadiers royaux et l’infanterie des troupes légères fut attaqué et emporté, les dragons et hussards à leur droite attaquèrent les troupes qui étoient devant eux et les culbutèrent. Des cris de " Vive le Roi ! " encourageoient les troupes françoises qui combattoient dans Lawfeld, où les ennemis se soutenoient toujours. En même temps, le maréchal prend deux brigades d’infanterie de la droite de ses lignes, formées en colonne, et les conduit lui-même, laissant Lawfeld à sa droite et le tournant pour venir attaquer derrière ledit village les troupes angloises qui servoient à sa défense. Au moment où ces deux brigades alloient joindre l’infanterie angloise, le général Ligonier (2), à la tête de quatre escadrons, fait une décharge à cette colonne, qui par son feu culbute ces quatre escadrons, mais la colonne s’arrête. Les carabiniers qui marchoient en bataille, ainsi que le reste de la ligne de la cavalerie et quelques-uns des escadrons, chargent les quatre escadrons aux ordres du général Ligonier, les mettent en pièces et font prisonnier ce général. L’arrêt de la colonne et ces deux charges de cavalerie donnèrent le temps à l’infanterie angloise de se retirer et la cavalerie ennemie, qui avoit été repoussée par la notre, s’étant ralliée et formée dans la plaine, protégea la retraite de l’infanterie angloise, qui au pas de course fut se rallier derrière cette cavalerie.

Dès ce moment la bataille fut gagnée. Les Hollandois firent leur retraite vers Maëstricht, les Anglois ayant pris même chemin, dont ils étoient à une demi-lieue. Les Autrichiens également commencèrent la leur et, lorsque les troupes qui étoient restées sur les hauteurs d’Herderen se portèrent en avant et qu’elles arrivèrent sur les hauteurs où les Autrichiens étoient pendant la bataille, il n’y restoit plus qu’une douzaine d’escadrons de cavalerie, qui, à notre approche, commencèrent leur retraite et il ne fut possible de les accompagner que par quelques volées des canons, tirées de fort loin et presque sans effet. Il fut fait un détachement pour les poursuivre, trop faible pour les incommoder dans leur retraite, mais qui put les observer. Ce détachement de grenadiers et carabiniers ramassa dans les fermes éparses dans la campagne et dans un village 300 hommes qui s’y étoient cachés ; plusieurs d’eux se disoient déserteurs [2 juillet].

L’armée passa [la nuit] au bivac sur le champ de bataille. Le lendemain matin, elle porta sa droite en arrière et campa, ayant sa gauche à la Commanderie [des Vieux Joncs], où le Roi logea. Il fut porté deux brigades d’infanterie et quelques troupes légères sur les bords de la Meuse, au-dessous de Maëstricht, où elles campèrent ; et après quelques jours de séjour elles rentrèrent sur leurs positions, qui étoient fort critiques, étant à une petite demi-lieue de Maëstricht et à une lieue de notre camp.

L’on établit un camp volant de trois brigades d’infanterie et de deux de cavalerie sur les hauteurs vis-à-vis le camp Saint-Pierre, que les ennemis occupoient.

Les ennemis, le jour de la bataille, firent ainsi leur retraite : les Hollandois et Anglois par Maëstricht, n’en étant qu’à une demi-lieue. Ces deux nations traversèrent cette ville et campèrent, appuyant leur gauche à la ville, devant eux la rivière de Meuse, et dix bataillons et quelques escadrons hollandois occupèrent le camp Saint-Pierre. Les Autrichiens firent leur retraite par un pont de bateaux qu’ils avoient fait établir à trois lieues au-dessous et, sans événements fâcheux, ils passèrent la Meuse et furent camper en appuyant leur gauche à la droite des Hollandois.

Les pertes des ennemis le jour de la bataille furent de 8.000 tués ou blessés : les Anglois en firent les frais ; fort peu de Hollandois et encore moins d’Autrichiens. Il fut pris trente pièces de canon, six drapeaux, huit étendards. Les prisonniers furent au nombre de 1.500.

La perte des troupes du Roi fut de 4.000 hommes, tués ou blessés, et les Anglois firent 200 prisonniers dans le village de Lawfeld, officiers ou soldats blessés, qui faisoient nombre dans les 4.000 de perte.

Les pertes des ennemis eussent été bien plus fortes si la cavalerie françoise, après la charge heureuse qu’elle avoit faite sur la cavalerie angloise et hollandoise, se fut rabattue sur leur gauche et eût pris en queue et en flanc l'infanterie angloise destinée à soutenir les attaques du village de Lawfeld ; le maréchal de Saxe l’avoit ainsi commandé. Ayant manqué cette circonstance, la cavalerie manqua encore de charger les Anglois dans leur retraite, après avoir cherché à battre la cavalerie qui les protégeoit, car, cette cavalerie battue une seconde fois, il étoit à croire que toute l'infanterie angloise eût été mise en pièces ; et l’attaque que conduisoit le maréchal de Saxe à la droite du village de Lawfeld auroit eu un effet bien sinistre pour les Anglois et les Hollandois ; la déroute de cette armée eût été complète et ses pertes immenses, mais le Dieu des batailles, qui préside à tout, leur évita tant de fâcheux événements et chacun de ces alliés fit sa retraite heureusement.

Le maréchal, pour tirer fruit de sa victoire, fit filer par différentes directions vingt-cinq bataillons à M. de Lowendal, l’objet de cette manœuvre étant que ce général feroit le siège de Berg-op-Zoom, ce qui fut exécuté. M. de Lowendal étoit resté avec quinze bataillons à Anvers ; avec ces quarante bataillons et trente escadrons, il commença ce fameux siège, dont je ne sais point le détail, le régiment de Picardie n’en ayant pas été.

Pendant tout le temps de ce siège, l’armée du Roi, devenue armée d’observation, resta dans le camp qu’elle avoit pris après la bataille de Lawfeld environ six semaines et, pour se procurer des vivres, elle fit une marche rétrograde, vint camper à Tongelberg, où fut établi le quartier général du Roi, et y finit la campagne.

Berg-op-Zoom pris, le Roi et les princes partirent pour Versailles et, peu de temps après, les troupes des maréchaux gagnèrent leur destination pour l’hiver. Le régiment de Picardie fut désigné avec sept autres bataillons pour la garnison de Louvain, avec une brigade de cavalerie, différents détachements de troupes légères, hussards et un bataillon d’artillerie, le tout aux ordres du comte de Saint-Germain.

Pendant cet hiver, il ne se passa rien de bien intéressant, si ce n’est entre nos troupes légères et celles de l’ennemi, qui se disputoient pour aller boire la bière des habitants de la campagne située Louvain et Tirlemont (qui en est à trois lieues de distance), où les ennemis avoient leurs premiers postes, composés de 2.000 hommes. Le général Saint-Germain, ne voulant pas fatiguer inutilement les troupes à ses ordres, n’entreprit rien sur eux et l’hiver fut des plus tranquilles.

 

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Note 01 : Claude-Louis, comte de Saint-Germain, né en 1707. On connaît sa carrière aventureuse au service de l’Électeur Palatin, de l’empereur Charles VII, du roi de France et du roi de Danemark, et son rôle comme ministre de la guerre de 1775 à 1778.

Note 02 : Jean-Louis Ligonier, né en 1688, mort en 1770, field-marshall, appartenait à une famille huguenote originaire de Castres, et était fils de Louis de Ligonier, sieur de Monteuquet, et de Louise du Poncet.